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Un peu de désintox sur :
Le plafonnement des indemnités prud’homales
« On a mis un barème qui correspond à la moyenne de ce qui se fait aujourd’hui aux prud’hommes. » Cette phrase est prononcée par Murielle Pénicaud, lors de son interview par Elise Lucet à la suite du documentaire « Cash investigation, ton univers impitoyable » diffusé le 26/09/2017 (si vous ne l’avez pas vu, on vous le conseille). Cette phrase, prononcée
très vite, passe assez inaperçue grâce à son ambiguïté. Si Madame Pénicaud avait été honnête, elle aurait dû dire « On a mis un plafond qui correspond à la moyenne de ce qui se fait aujourd’hui aux prud’hommes » car c’est effectivement ce que font les ordonnances. Petit rappel de mathématiques : Si ce qui était jusqu’ici la moyenne devient le maximum, cela signifie…qu’on divise globalement par 2 les sommes versées.
Mais le problème ne se limite pas à ça. Par définition, il y a des indemnités prud’homales qui sont supérieures à la moyenne, voire très supérieures à la moyenne. Bien évidemment, ces indemnités élevées sont celles qui concernent les licenciements les plus brutaux, les plus injustifiés, les plus illégaux. Ce sont ces licenciements-là dont les indemnités seront plafonnées à des valeurs ridiculement basses par la réforme. C’est par ce mécanisme qu’on verra apparaître des cas semblables à celui présenté dans cette interview : Un homme est licencié pour avoir envoyé à sa direction une lettre réclamant une amélioration de ses conditions de travail, c’est-à-dire sans motif juridiquement valable (mais n’ayant subi ni harcèlement, ni discrimination). Avec les nouveaux barèmes, cet homme aurait vu son indemnité divisée par 6.


 

Vrai / Faux  sur la "Loi Travail" 2 - Front Social Grenoble

Les ministères de la justice et du travail ont réalisé en 2015 une étude compilant les données de 284 jugements prud’homaux concernant des entreprises de 11 salariés et + (données 2014) pour en calculer la moyenne, par tranches d’ancienneté. Cette étude est censée avoir servi de base à la détermination du nouveau barème. Nous avons superposé sur ces données les nouveaux barèmes imposés par les ordonnances (ce sont les flèches verticales, dont les 2 extrémités indiquent le plafond et le plancher). Dans quasiment tous les cas jusqu’à 18 ans d’ancienneté, les nouveaux plafonds sont inférieurs ou très inférieurs à la moyenne actuelle des indemnisations. Dans certains cas (2, 3 et 4 ans d’ancienneté), les nouveaux plafonds sont même…en-dessous de l’ancien plancher !
Il y a le problème des plafonds, mais aussi celui des planchers. Contrairement à ce que laisse entendre la com’ du gouvernement, les planchers existaient déjà. Ils étaient de 6 mois de salaires à partir de 2 ans d’ancienneté et passeront désormais à…3 mois de salaires. Or, les planchers sont très importants car ils sont très souvent appliqués par les juges. En ce qui concerne les entreprises de moins de 11 salariés, les ordonnances imposent des planchers encore plus bas.
La petite anecdote :
Le plafonnement des indemnités prud’homales ajoute une exception extrêmement rare dans le droit français vis-à-vis du principe de réparation intégrale d’un préjudice subi. Il n’y avait jusqu’ici que 2 exception recensées dans le droit français : La première concerne EDF, qui n’est pas tenu de réparer l’intégralité des préjudices causés par l’explosion d’une centrale nucléaire ! 
Heureusement que ce genre de situation n’arrive pas aussi souvent qu’un licenciement abusif ! La seconde concerne les accidents du travail : les employeurs n’ont pas à réparer l’intégralité du préjudice subi par l’accidenté !
Sources :
[1] Indemnités prud'homales : les trois mensonges de Pénicaud face à Elise Lucet, Libération, 28/09/2017
[2] Allo les ministères, on a une question pour vous, Libération, 26/09/2017
[3] Ordonnances Macron: Le projet de plafonnement des indemnités aux Prud’hommes en un graphique, huffingtonpost, 31/08/2017
[4] Les indemnités prud'homales vont singulièrement diminuer, La tribune, 01/09/2017
[5] Avec la réforme, le salarié pourra gagner aux prud’hommes et repartir sans argent, L’express l’entreprise, 07/09/2017
[6] Plafonnement des indemnités prud’homales : comment le gouvernement encourage la délinquance patronale, BastaMag, 07/09/2017

Il y a encore un gros détail dont on ne vous a pas parlé:
Les statistiques fournies par les ministères de la justice et du travail présentent de grosses incohérences. L’étude contient 2 tableaux importants : Le tableau 1 qui contient les indemnités moyennes pour chaque tranche d’ancienneté et le tableau 2 qui fournit la distribution des indemnités pour chaque tranche. Comme les données sont regroupées par fourchettes d’indemnisation assez larges, on ne peut pas recalculer précisément la moyenne de chaque tranche à partir du tableau 2. Par contre, on peut définir une borne inférieure de cette moyenne en se basant sur des hypothèses pessimistes : toutes les personnes qui ont touché entre 6 et 12 mois de salaire ont touché 6 mois de salaire, toutes les personnes qui ont touché entre 12 et 18 mois de salaire ont touché 12 mois de salaire, etc… Or quand on fait ce calcul, on trouve que les moyennes du tableau 1 sont…inférieures aux bornes inférieures du tableau 2. Mathématiquement, c’est impossible. Des journalistes ont demandé à plusieurs reprises des explications à ce sujet aux ministères, mais ceux-ci n’ont pas souhaité répondre [2]. Du coup, on aurait tendance à croire que les ministères essaient de nous bananer et que les moyennes réelles sont encore plus élevée que celles du tableau 1 et donc largement au-dessus des nouveaux plafonds.
 

Vrai / Faux  sur la "Loi Travail" 2 - Front Social Grenoble

Les prud’hommes et les indemnités de licenciement, comment ça marche ?
Il faut bien faire la distinction entre indemnités légales de licenciement et indemnités prud’homales. Ce sont ces dernières qui seront désormais plafonnées. Les indemnités légales sont toujours dues par l’employeur au salariés licencié, même si le licenciement est justifié et légal (sauf faute grave ou lourde du salarié licencié). Ces indemnités légales de licenciement ont été augmentées par les ordonnances Pénicaud, mais elles restent de toute façon faibles : elles passent de 0,20 à 0,25 mois de salaire par année d’ancienneté.
Si le salarié conteste son licenciement, il peut aller en justice et saisir le conseil des prud’hommes. Soit un accord est trouvé par conciliation (environ 10% des cas), soit on fait appel à un bureau de jugement dont le jury est composé de 2 représentants salariaux et 2 représentants patronaux. Leur décision doit être validée à la majorité, c’est-à-dire par 3 des 4 membres du jury. Ceci est possible dans plus de 80% des dossiers qui arrivent en bureau de jugement. Ce taux élevé prouve le bon fonctionnement de ce système paritaire et la légitimité des décisions qui sont prises. En cas de désaccord des membres du jury, on fait appel à une départition par un juge. Le principal grief envers les prud’hommes concerne leurs délais de traitement : 15 mois en moyenne, 27 mois en appel. 
En 2017, le mode de désignation des délégués prud’homaux a changé. Ils ne sont plus élus, mais désignés par les syndicats. D’après nos sources, le MEDEF en a profité pour exclure du collège patronal de délégués prud’homaux les personnes jugées trop « modérées » et favorables aux compromis. Résultat : un renouvellement à 80% des conseillers prud’homaux du collège patronal. L’objectif probable : rendre les bureaux de jugement plus conflictuels, abaisser les indemnités versées ou renvoyer les décisions aux juges qui seront saturés de dossiers, rallonger les procédures et décourager encore un peu plus les salariés de s’engager dans une procédure prud’homale. On a beau nous répéter que la lutte des classes n’existe plus, on trouve que le haut-patronat a bien affuté ses armes !
Il coûtera moins cher de licencier des CDI que de recruter des CDD.
Les nouveaux plafonds sont fixés à 1 mois de salaire jusqu’à 1 an d’ancienneté et 2 mois de salaires jusqu’à 2 ans d’ancienneté. Si une personne en CDI est licenciée sans motif un peu avant d’atteindre 1 an d’ancienneté, que se passera-t-il ? Tout d’abord, elle touchera ses indemnités légales (0,25 mois de salaire). Si elle fait appel à un avocat pour remplir le dossier hyper-technique de 11 pages (rendu obligatoire par E. Macron quand il était ministre) qui permet de porter plainte et de s’engager dans une procédure aux prud’hommes de 15 mois, et si au final elle gagne son procès et qu’en plus elle gagne le maximum autorisé, elle touchera 1 mois de salaire de plus. Soit au total 1,25 mois de salaire. 1,25 mois de salaire par rapport à 12 mois de travail, ça fait…10,4%, soit à peine plus que la prime de précarité d’un CDD (10%). Etant donné que de nombreuses personnes ne s’engageront pas dans une telle bataille pour si peu, il sera plus économique pour les entreprises de recruter des CDI et de les licencier avant 1 an ou 2 ans d’ancienneté que de les recruter en CDD. De telles pratiques seront d’autant plus aisées et rentables avec les CDI de projet qui feront leur apparition dans certaines branches. Cette logique s’étend à des anciennetés supérieures, il n’y aura donc plus en pratique de frontière nette entre CDD et CDI.
Proposition de sujets de bac philo 2018 :
- Sujet n°1 : D’après madame Pénicaud, la barèmisation des indemnités vise à apporter une «sécurisation juridique » et une « équité » aux salariés. Nous, on pense qu’elle vise à décourager les salariés de faire valoir leurs droits aux prud’hommes et à rendre les salariés, en particulier les moins formés, précaires et corvéables à merci car licenciables à tout moment. Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ?
- Sujet n°2 : Au final dans cette histoire, qu’est-ce qui est le plus énervant ? Qu’on saccage les protections des salariés ou bien qu’en plus on nous prenne pour des cons ?
Retrouvez ce tract en version numérique sur www.frontsocialgrenoble.fr

Vrai / Faux  sur la "Loi Travail" 2 - Front Social Grenoble
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